Laurent Botti
La nuit du
verseau
Laffont éd., octobre
2000.
La quatrième
de couverture :
Comment surmonter la
douleur quand votre fille de 17 ans, la voix vibrante de
colère, vous crache au visage : «Je te hais»?
Comment survivre lorsqu'elle disparaît sans plus donner signe
de vie? Quand Mathilde découvre que sa fille, droguée
et prostituée, a été
récupérée par l'association Biosthal, dont les
méthodes ressemblent à s'y méprendre à
celles d'une secte, son sang ne fait qu'un tour; Elle doit sauver son
enfant, dût-elle y laisser sa propre vie! Elle décide
d'infiltrer la communauté. sans savoir que la police, de son
côté, enquête sur les activités occultes de
Biosthal à la recherche d'un lien avec le meurtre atroce d'un
jeune mannequin... Ce récit nerveux, au rythme
trépidant, s'enchaîne en une spirale diabolique,
jusqu'au dénouement étourdissant!
Le battage médiatique fait
souvent écran. Qu'espérer du second roman d'un auteur
dont le premier, remarqué, a fait l'objet d'un tirage à
80.000 exemplaires? Dont le second, promotionné par un grand
club de livres, est annoncé comme un événement
par le rédacteur en chef et bénéficie de
plusieurs pages d'information? Et aussi de pages internet, mises en
site par le même club, où l'accent est
particulièrement mis sur l'astrologie, et sur la
photogénie d'un auteur particulièrement sympathique? La
vigilance s'impose au critique.
Mais la prévention tombe vite.
Autant le prologue de Pleine Brume était banal, autant celui de
La Nuit du
Verseau est spectaculaire et
accrocheur. Préparant à la recherche d'un
démoniaque criminel, il nous projette inexorablement dans un
monde particulier des apparences, celui de la mode, des mannequins,
des boîtes de nuit. À la découverte de ce qui se
cache derrière la façade fallacieuse du fonctionnement
d'une secte, et des solutions illusoires proposées à
des êtres déboussolés. Deux investigations
parallèles, menées par des êtres qui ne se
connaissent pas et qui ne se doutent pas qu'ils travaillent dans le
même milieu. Le commissaire Grendit, déjà
enquêteur à Laville dans Pleine Brume, traîne à ses basques un journaliste, lui
aussi rescapé du premier roman, Xavier Vidal. Autocitation
amusante : Botti
l'a devancé en
publiant le roman sur les événements de Laville, sur
lesquels il projetait d'écrire. Grendit enquête sur le
meurtre insolite et sanglant d'un mannequin, qui intéresse
Vidal. Après quelque temps de travail en commun,
l'écrivain mènera sa propre enquête, qu'on peut
suivre au travers de la lecture de passages de son livre en projet.
De son côté, une mère recherche sa fille ,qui a
quitté le domicile familial après une fracture
difficilement ressentie, aidée par un détective
privé dévoué et amoureux. Quatre recherches,
avec des projets différents, dans des mondes
différents, qui se révéleront pour le lecteur
rapidement en synergie.
L'énergie ou le courage
déployés par les quatre investigateurs, leur richesse
humaine, les sentiments qui les animent permettent une construction
savante, où alternent habilement, avec des tons
différents, le récit de l'écrivain Vidal, reflet
de sa vision des choses, et celui du narrateur, qui offre des
éclairages plus généraux et variés sur
les actions en cours. S'il n'a pas la solution des meurtres, le
lecteur, qui voit à chaque instant se mettre en place une
nouvelle pièce de la mécanique, souvent inattendue,
progresse dans le fonctionnement des sous-ensembles, mais sans savoir
de quel produit la machine finira par accoucher. Comme y fait
incidemment allusion Botti, un mixte
d'Agathie Christie pour le
serré de l'enquête et de James Bond pour
l'atmosphère et le décor. Le récit se relance
sans cesse, virevoltant, rebondissant. Botti a l'art de placer
opportunément le petit détail réaliste qui ancre
la narration dans la réalité en lui apportant une
véracité jamais mise en cause.
Un roman aussi bien ficelé
pouvait se contenter d'une intrigue trépidante sans comporter
de contenu, avec des personnages stéréotypés et
sans vie. Ce n'est pas ici le cas. Les personnages sont nombreux,
présentés dans leur humanité avec une finesse
certaine de l'analyse. À la recherche de sa fille, la
mère, à la vie doublement ratée, se
révèle obstinée, astucieuse, courageuse, sans se
laisser rebuter par les difficultés. Le romancier, à la
décontraction charmeuse, facilement dirigé par ses
émotions, doit péniblement faire coïncider un
amour neuf avec la progression de son enquête. Le
détective balourd, amoureux sans espoir, est le
dévouement oblatif personnifié. Le commissaire Grendit,
à l'humeur taciturne, suit sa trajectoire sans dévier,
obstiné à la tâche, droit, humain, mais
dangereux. Ces personnages positifs sont cependant peu nombreux,
comparativement à ceux déterminés par leurs
faiblesses, leurs appétits, et leurs passions. La plupart des
femmes sont instables, déstabilisées par le
paraître ou le pouvoir, se cherchent sans se trouver, ou
rencontrent, dans les paradis artificiels, l'oubli de leur condition
non maîtrisée. Contrairement à la plupart des
thrillers, le roman de Botti est riche
de la psychologie compliquée de ses personnages. Rares sont
les auteurs qui prennent la peine, comme il l'a fait, de consulter un
universitaire pour l'aider à mettre en scène des
mécanismes psychologiques complexes.
Mais Laurent Botti se trompe
quand, dans son dossier de presse, il affirme n'être qu'un
faiseur d'histoires, et pas un témoin de la vie. S'il sait
faire preuve de psychologie, il sait aussi être sociologue, bon
connaisseur de la société parisienne, bien ancré
dans la technologie de son époque. Il se montre balzacien dans
sa description d'un Paris surtout nocturne, odieux, où
"l'océan de tôles klaxonnantes des rues", l'air
pollué, l'absence de verdure, sont représentatifs d'un
univers sombre et déprimant. Des individus malheureux, ou
ayant perdu la conscience de l'être, désorientés,
déboussolés, captifs de l'industrie de la mode, du
sexe, des sectes. Les femmes frigides, incapables de fixer un amour
solide, passant d'un porche à un lit, dans des
étreintes fugitives et sans lendemain. Des parents
dépassés, des maltraitances ou des abandons d'enfants,
des mères incapables d'amour familial, et
répétant compulsivement avec leurs enfants leurs
propres carences et souffrances. Des pères incestueux et
violeurs au pire, au mieux indifférents ou en retrait. Les
responsables de la secte Biosthal recherchent les isolés, les
conditionnent à la rupture avec la famille. Cette tactique
leur permet d'isoler les individus pour mieux les soumettre, en
utilisant un prétendu savoir astrologique alors que leur
perception juste d'autrui est surtout intuitive.Ils tentent de
"rationaliser en Astra, quantifier en grades, contenir en Prime
Vérité" des êtres prisonniers de cauchemars. Ces
vies sans affection trouvent un dérivatif dans l'alcool, le
Prozac, la drogue, les clubs de baise ou les sectes. Les uns vivent
dans le monde artificiel de la mode, d'autres dans l'activité
de rédaction ou la lecture des magazines
décérébrants, reflétant les pires
turpitudes en les carrossant de rêve. En résumé
une humanité sordide, à peine éclairée
par les quelques personnages positifs, qui hurle sa souffrance et
dont on percevrait la noirceur insupportable et
exagérée, si on ne la ressentait réelle,
perçue par le journaliste que ses fonctions ont mis en rapport
avec les souffrances humaines. Si ce n'est pas être un
témoin de son temps que de décrire ainsi une
société en crise, avec un ton qui sonne juste...
Le premier récit de Botti, Pleine Brume,
était un thriller mixte, chevauchant les terres d'ombre du
fantastique. Ce second est un thriller pur. Débouchant sur une
explication inattendue, cette intrigue policière passionnante
et essoufflante - difficile d'arrêter la lecture le livre
commencé - est aussi le roman des mirages, des espoirs ou des
échappatoires désespérées. Je ne
manifesterai qu'un seul regret, la happy end conventionnelle. Je
sais, je sais, les lecteurs n'aiment pas les dénouements
sombres. Personnellement, pour que mon bonheur eût
été complet, il aurait fallu à ce roman une fin
plus forte.
Pour les lecteurs de mon site allergique
à tout ce qui n'est pas fantastique, Laurent Botti reviendra
à ses "premières amours - et terreurs gothiques! -,
avec un troisième roman, qui sera le deuxième
épisode des aventures de Laville Saint Jour", où se
déroulait l'action de Pleine
Brume, ville brouillardeuse imaginaire
placée en Bourgogne, (où Botti est né et a
passé son enfance). Par contre il existe bien un Tellecey
(dont il est brièvement question dans le roman) à l'est
de Dijon.
Notice bibliographique: 33 ans, né à Dijon, a passé ses
premières années au Maroc avant de retrouver la
Bourgogne à l'âge de cinq ans. Je suis un produit mixte
: "pied noir" Espagnol/Corse par ma mère, Bourguignon par mon
père... Et un peu sans racine, car ma famille est
dispersée aux quatre coins du monde. Titulaire d'un DEUG de
droit (Dijon), et d'une Maîtrise d'Information et communication
(Paris II Assas) qui l'a conduit, au journalisme : biographe de Serge
Gainsbourg (NRJ Éditions), ancien journaliste "grand-public"
(chroniqueur Tendances sur Europe 1), collaborateur du magazine
Gala . Son roman Pleine brume (note de lecture) a
été vendu à plus de 80.000 exemplaires. Son
second roman, La
Nuit du Verseau, vient de
paraître aux éd. Laffont.
Roland Ernould © 2000
Interview de
l'auteur :
Quels rapports trouves-tu entre le
romancier Xavier et toi?
Il y a
assurément beaucoup de moi-même dans le personnage de
Xavier.
Lorsque j'ai eu
terminé Pleine brume, j'ai éprouvé le besoin d'exprimer une
certaine vision que j'avais de l'époque, et de le faire
à la première personne du singulier. Cette contrainte
-bâtir le récit sur un "je" - était en revanche
limitative, puisque l'on aurait vécu l'aventure que depuis le
point de vue d'un personnage, alors que j'aime promener le lecteur
d'un héros à l'autre. D'où l'idée du
"roman dans le roman", qui m'a conduit à créer un
"double" littéraire...
Les mères ont une situation
peu flatteuse dans ton roman...
Les
mères ne sont pas gâtées effectivement -elles ne
l'étaient pas non plus dans Pleine brume. Mais que dire de la
mère de
Carrie, ou du
héros de Dead Zone? Même Wendy, la mère de
"l'enfant-lumière" est obsédée à
l'idée de ressembler un jour à sa propre mère...
Les mères abusives, mal aimantes ou castratrices sont une
inépuisable source d'inspiration.
Tu fais dans ton site une utilisation
particulière de l'astrologie...
L'astrologie : Ah la la! Vaste sujet! Peut-on
expliquer le bien-fondé de l'astrologie, ou même le
justifier? Non.(...)
Plus
prosaïquement, je pourrais te dire que, comme je l'explique sur
mon site, pas un de mes consultants (gratuits, car je ne pratique que
pour le plaisir) n'est reparti sans dire : "tout est vrai à
99%, c'est troublant, et même presque désagréable
de se savoir ainsi mis à nu."(...)
Quant à son
utilisation dans le livre, force est de constater que j'abonde dans
ton sens : l'Astrosophie n'est qu'un prétexte à
attraper dans les filets de Biosthal les "égarés de la
vie"... Une des grandes difficultés du livre était en
effet de doter la secte d'un contenu doctrinal, sans sombrer dans le
délire (Jésus arrive en 2004), car le lecteur aurait
immédiatement décroché, et sans non plus le
raser avec des considérations trop
philosophico-mystico-religieuses... Comme on finit par le savoir
à la fin, tout cela n'est que du vent!
La peinture appelée
Le
Cri que tu utilises dans un
décor m'a fait penser à l'oeuvre du même nom
d'Edvard Munch...
Le
Cri : je n'ai pas pensé à cette
toile terrible de Munch
(elle est d 'une
force incroyable) mais à celle de mon grand-père qui se
trouve dans la page qui lui est consacrée sur le site. Je
regrette à ce propos que la qualité des vignettes ne
soit pas meilleure, car il était un merveilleux
coloriste.
Si ton troisième roman est de
la même qualité que les précédents, j'ai
l'intention de te faire une page spéciale sur mon site. Qu'en
penses-tu?
Mille
mercis pour la page sur ton site -si ton appréciation de mon
Ïuvre se confirme au troisième roman. Je ne pense pas qu'il y
ait le moindre problème avec France Loisirs, mais nous avons le temps d'y penser (
je prends mon temps, car après la sortie France Loisirs, La Nuit du Verseau va paraître chez
Laffont dans la collection Best-Sellers... De fait
Laville-Saint-Jour ne devrait pas sortir avant le printemps
2002).
Ce serait en tout cas
un grand honneur car, vois-tu, c'est assurément Stephen King
qui m'a
donné envie d'écrire -et même si pour ma part, je
suis déçu par sa production depuis Dolores Claiborne,
je reste un admirateur éperdu de Shining, Ça, Carrie, Dead Zone
et les
autres.
(...)
Je tiens à te
remercier pour cette magnifique analyse. En effet, il est toujours un
peu frustrant, pour un auteur de thriller, d'être
appréhendé comme un "story-teller" et rien d'autre...
Surtout lorsque l'on s'efforce de bâtir son intrigue sur la
psychologie de ses personnages, et que l'on y met beaucoup de
soi-même. Tu comprendras donc que ton approche de mon travail
me comble (et même me flatte)... Elle me permet aussi de
percevoir des "détails" qui m'ont
échappé.
site de Laurent Bottti : http://www.figuresdestyle.com/botti/index.html
Roland Ernould © 2000
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.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. du site Stephen King
mes dossiers
sur les auteurs
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