Une histoire de la science-fiction 5 - la science-fiction française

 

nouvelles réunies par Jacques Sadoul, Librio, 2001.

 

C'est un défi que de vouloir en si peu de pages rassembler les oeuvres caractéristiques courtes d'une histoire de la science-fiction française, dont on ne sait trop quand elle débute : au XVIIème siècle, avec les fantaisies de Cyrano de Bergerac ou de Charles Sorel? Au XVIIIème, avec les nombreuses relations de voyages imaginaires? Au XIXème avec Balzac, George Sand, Victor Hugo, Dumas père, qui en ont abordé des thèmes? Ou encore Emile Souvestre, Louis Geoffroy, Jules Verne surtout, qui tua momentanément un genre que l'on crut, après lui, voué à la jeunesse? En quelques paragraphes (surtout consacrés à Jules Verne), l'histoire de ces précurseurs fut expédiée dans le premier volume de cette collection, qui débutait l'histoire de la SF américaine en 1901. Il est vrai que les Américains n'ont connu le genre qu'avec le roman littérairement mauvais Ralph 124 C 41 d'Hugo Gernsback, en 1908, ce qui explique que l'anthologie que Sadoul a consacré à la SF américaine commence au début du siècle. Commençons donc par regretter que cette histoire de la science-fiction française ne commence pas par un premier volume 1900-1950. L'introduction de Sadoul passe d'ailleurs rapidement sur cette période : raisons éditoriales, désintérêt ou désinvolture?

Cette introduction est déroutante par son manque d'exhaustivité. On connaît la place considérable que Sadoul a occupée dans le genre, avec ces autres pionniers que sont Jacques Goimard, Gérard Klein et Alain Doremieux. Co-fondateur du Club du livre d'anticipation dès 1966, rédacteur en chef de revue, directeur de la collection J'ai Lu SF, fondateur du prix Apollo, Sadoul a tendance à voir la science-fiction française de sa position d'éditorialiste. Ses choix se ressentent des fractions qui opposent des courants de SF. Il était facile de remarquer des «oublis» dans le récent guide le lecture de Francis Valéry dans la collection Folio SF (où ne se rencontraient pas Ayerdhal, Jean-Marc Ligny, ou Jean-Claude Dunyach par exemple); il va de soi que dans un fascicule comme Librio les choix ne peuvent être encore que plus restreints. La moitié des nouvelles proposées sont celles d'auteurs de plus de soixante ans, l'autre moitié d'auteurs dans la cinquantaine, des auteurs que Sadoul connaît bien. Le choix des dix nouvelles retenues est intéressant (Gérard Klein, Julia Verlanger, Michel Demuth, Philippe Curval, les pionniers; Serge Brussolo, Joëlle Wintrebert, Michel Jeury, Jean-Claude Dunyach, Ayerdhal et Pierre Bordage, ce dernier démentant le titre de l'anthologie puisqu'il offre un texte inédit percutant de 2001). Il faut noter que la quasi-totalité de ces textes sont pessimistes, signe de notre temps. Ils sont aussi représentatifs d'une politique éditoriale qui a marqué un quart de siècle de notre science-fiction, en le " verrouillant", pour reprendre le terme de Francis Valéry, marqué par le goût d'une science-fiction littéraire, en lui cherchant un statut comparable à la littérature générale, «blanche», avec des textes de qualité mais aussi empreints d'une certaine orthodoxie concernant la définition du genre.

On ne s'étonnera donc pas de trouver une sorte d'histoire officielle de la SF, qui ne fait pas état du renouveau récent du genre dans la dernière décennie, dans des conditions historiques totalement changées par rapport aux lecteurs des précédentes générations. Les moins de quarante ans ont vécu dans un environnement où la science-fiction n'était pas seulement présente dans les romans et les films, mais faisait partie de la vie quotidienne, tellement les changements techniques ont été importants en trente ans. Sadoul constate sans regrets particuliers le manque de succès des textes de SF "écologico-gauchistes" qui ont suivi le mouvement de mai 1968. Actuellement cependant - Sadoul n'en fait pas mention - , à la suite de la revue Cyberdreams dans la décennie 90, un changement important se manifeste en France, représenté, maintenant que Cyberdreams n'existe plus, par la revue Bifrost. Suivant ce courant, la SF n'a plus comme seule fonction de développer l'imaginaire, mais de questionner le réel, de comprendre les enjeux du futur, ses horreurs, ses possibilités. Ces auteurs écrivent pour témoigner, dénoncer, faire prendre conscience des problèmes de notre temps, changer le réel, en s'engageant. Ils prouvent ainsi la possibilité pour la SF d'une interrogation du monde, et les inquiétudes sur la respectabilité du genre qui préoccupaient la génération de Sadoul n'ont guère d'importance pour eux.

Il faut aussi noter que cette nouvelle génération a fait naître de nouvelles collections (chez Rivages), ou des petites structures d'édition (Atalante, Étoiles vives, Mnémos, etc) dont les éditeurs ont le même âge que leurs auteurs, la quarantaine. Le SF Française est actuellement en train de se renouveler complètement au niveau de ses producteurs. La plupart des auteurs âgés ont d'ailleurs pris une autre direction que celle qui les a fait connaître (terroir, préhistoire, jeunesse) ou ils pratiquent un autre genre.

Ceci n'enlève rien au grand mérite de ceux qui, comme Sadoul, ont toujours lutté, en dépit des crises, en faveur d'un avenir meilleur pour la science-fiction nationale. Et on ne peut qu'espérer avec lui que la SF, en dépit de son passé chaotique que reflète bien l'introduction de Sadoul, aura un avenir meilleur derrière elle. Les problèmes mondiaux, l'inquiétude liée aux manipulations génétiques, aux dégradations de notre environnement, l'explosion des multimédia, les conflits de civilisation ne peuvent que favoriser un regain d'intérêt pour un genre qui provoque l'interrogation et le questionnement dans tous les domaines.

La quatrième de couverture :
Coupable de ne pas porter les mêmes stigmates que les autres membres de la tribu, le paria est exclu... Mais si c'était lui, le porteur d'avenir de ce monde dévasté?
Coupable? Qui l'est, et pour quelle raison? Voilà ce qu'un xénologue doit élucider, lorsqu'il découvre qu'une espèce extraterrestre s'est donné la mort dans ce qui semble être un suicide collectif.
De manière paradoxale, alors qu'un de ses pères fondateurs, Jules Verne, était français, la science-fiction s'épanouira d'abord chez les Anglo-Saxons. Et ce n'est qu'à l'orée de l'après-guerre que l'Hexagone s'ouvrira à ce courant littéraire, jusqu'à voir progressivement éclore en son sein une véritable école française.
Jacques Sadoul fait revivre cette histoire éditoriale épique et troublée à travers un panorama d'oeuvres de Gérard Klein à Pierre Bordage, qui signe en exclusivité pour cet ultime volume une nouvelle inédite.

Sommaire :

Introduction.
Gérard Klein,
Civilisation 2190.
Julia Verlanger,
Le Mal du Dieu.
Michel Demuth,
L'Empereur, le Servile et l'Enfer.
Philippe Curval,
Le bruit meurtrier d'un marteau piqueur.
Serge Brussolo,
Funnyway.
Joëlle Wintrebert,
Hétéros et Thanatos.
Michel Jeury,
Machine, donne.
Jean-Claude Dunyach,
La Station de l'Agnelle.
Ayerdhal,
Scintillements.
Pierre Bordage,
Tyho d'Ecce.

L'auteur : né en 1934, il est un des professionnels qui a contribué à faire connaître la science-fiction à un vaste public, par ses fonctions de directeur de collection et de directeur littéraire. il est l'auteur de de livres théoriques sur la SF : Histoire de la science-fiction moderne, Laffont, d'un album consacré aux illustrateurs de la SF : Hier, l'an 2000, et de plusieurs essais sur la BD (93 ans de BD, L'enfer des bulles 20 ans après) et les pulps (Les Meilleurs Récits de Weird Tales). Il a écrit plusieurs romans, influencés par l'ésotérisme et le fantastique (La Passion selon Satan, Le jardin de la licorne), ainsi que des romans policiers.

Roland Ernould © 2001

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